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FULGURANCES D’APRÈS SILENCE

bilan

Pendant des années (de l’été 1983 à l’automne 2021) j’ai donné des cours de yoga de plus en plus philosophiques, de plus en plus axés sur la méditation, une méditation pour laquelle je ne proposais pas de méthode (n’en utilisant pas moi-même car je ne cherchais rien). Bien que, comme Nietzsche, il me soit odieux de suivre autant que de guider, je me rends compte que tous ces gens (peut-être des centaines au total) qui m’ont suivi un temps étaient des membres d’un groupe « à la Gurdjieff », et cela sans le savoir (moi non plus je n’en étais pas conscient sauf peut-être un petit peu sur la fin), des gens qui, comme point commun, cherchaient quelque chose. Quoi ? C’est là que je bloque car déjà la notion de but me révulse, je leur disais que je n’avais rien à offrir (rien à donner en plus, plutôt quelque chose à soustraire d’eux-mêmes, ce qui passait assez mal dans notre monde du toujours plus) mais, dieu sait pourquoi, certains venaient quand même. Moi je n’avais pas d’objectif, je donnais ces cours sans raison, comme on respire « for the sake of doing it, not for results » (expression empruntée à J. Krishnamurti), ou alors peut-être parce que, comme il disait (il adorait dénigrer) en parlant des profs de yoga, je ne savais rien faire d’autre.

Mais revenons en préférable compagnie, à Gurdjieff. Il disait qu’il était indispensable pour sortir de la pièce (jolie métaphore) d’être guidé par quelqu’un (lui en l’occurrence) qui avait déjà été de l’autre côté. Quant à moi qui ne suis allé que sur l’autre rive de nulle part (voir mon ouvrage L’autre rive de nulle part, Editions dricot, Liège, 2000), je ne pense pas que cette porte soit fermée à clef. Il suffit de s’en rendre compte pour l’ouvrir et sortir. Mais de s’en rendre compte soi-même. Être guidé est la pire des choses qui puisse vous arriver*. Il faudra d’abord se libérer de ce besoin d’aide que l’on propose, et cela consciemment autant qu’inconsciemment, ce qui peut prendre toute une vie, et sans jamais réussir. C’est la libération de ce dramatique conditionnement qui est en un sens le seul « travail » spirituel. Ce ne serait pas nécessaire si les candidats-guides étaient moins nombreux (le grand nombre de ces imposteurs depuis toujours constitue sans doute la plus grande tragédie de l’humanité, une humanité qui sans eux serait peut-être éclairée et toute autre que celle que nous voyons) pour vous empêcher de voir que le chemin est facile** et que vous y arriverez sans eux, la porte n’étant pas fermée (on ne devrait même pas parler de porte ou de clef).

Voilà pourquoi je n’ai jamais dit à ceux qui m’ont écouté qu’ils devaient me suivre et encore moins qu’il y avait un chemin connu de moi que je pouvais leur indiquer. J’étais un Gurdjieff qui non seulement n'aurait rien exigé de quiconque mais qui de plus n’aurait même jamais, au grand jamais, suggéré que l’on était tous déjà libres (ils devaient le trouver par eux-mêmes, comme je l’ai dit plus haut) et qu’il suffisait de pousser la porte.

 

* : Pour expliciter ceci que l’on me permette de reprendre un passage de mon article du 21 novembre 2018 sur l’éveil :

Dogen (1200 -1253) quant à lui, adorait raconter une anecdote très instructive concernant l’éveil du moine lettré Xiangyan Zhexian :

Son maître Dagui Dayuan (771- 853) lui avait refusé son enseignement en ne répondant pas pour lui à la question qu’il lui avait posée concernant ce qu’il était avant sa propre naissance et celle de ses parents, avant même que n’existe la distinction entre l’est et l’ouest. Il attendait de son élève qu’il trouve lui-même la réponse, une réponse personnelle, qui dépassât l’intellect, et surtout pas celle qu’il aurait pu trouver dans ses chers livres, ou que lui, Dayuan, lui aurait donnée.

Désespéré, de ne pouvoir donner une réponse qui contente son maître,  Xiangyan Zhexian abandonna tout et vécut en reclus. Et c’est alors qu’il atteignit l’éveil en projetant par inadvertance un caillou contre un pilier en bambou de sa hutte. Il lança à son maître loin de là : « Maître Dagui, si autrefois vous m’aviez expliqué, comment l’événement actuel aurait-il pu avoir lieu? Votre bienveillance dépasse en profondeur celle d’un père et d’une mère!***»

[On retrouve cette belle histoire suggérant que l’égo incarné dans le désir est l’ennemi de l’éveil, dans les essais zen de l’Abbé Zenkei Shibayama intitulés A Flower does not talk (Ch. E. Tuttle Company, Tokyo, Japon, 1975, p. 107 et suivantes). Ici, Xiangyan Zhexian s’appelle  Kyogen et son maître, Isan.]

 

** :  Quelques confirmations et non des moindres :

- “Don’t call it a way, it is more a kind of skill. Stay open and quiet, that is all. What you seek is so near you, that there is no place for a way.” (I am that, Talks with Sri Nisargadatta Maharaj, Chetana Bombay, 1973, P. 196 )

- “Liberation is our very nature. We are that. The very fact that we wish for liberation shows that freedom from all bondage is our real nature. That has not got to be freshly acquired. All that is necessary is to get rid of the false notion that we are bound.” (Day by Day whit Bhagavan, his words reported from a Diary of A. Devaraja Mundaliar, third reprint of 1983, T.N. Venkataraman, Sri Ramanasramam, Tiruvanamalai,  24-12-45, Evening, p. 65)

- “ Now it is impossible for you to be without effort. When you go deeper, it is impossible for you to make effort.” (Sat-Darshana Bhashya & Talks with Ramana Maharshi, p. iv and The Teachings of Bhagavan Sri Ramana Maharshi in His Own Words, p. 85)

P. S. : Dans le billet du 11 septembre 2015 il était question de découragement.

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À propos
Marc

Photographe, écrivain, sophrologue et enseignant de raja yoga, j’ai bourlingué des années en Asie et vécu longtemps dans des ashrams indiens. Lecteur de toutes les philosophies et amoureux de tous les silences, je vous livre ici mes fulgurances d’après ... silence.
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Y
Bonjour Marc,<br /> <br /> Cela fait plusieurs années que je suis vos fulgurances qui immanquablement résonnent. Celle-ci l’est particulièrement (fulgurante) du moins pour moi. Et je sens qu’elle ne tolère ni conclusion ni quoi que ce soit d’autre. Merci pour ces gemmes brutes et en même temps aussi parfaitement ciselées.<br /> <br /> Y
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M
Bonjour Yann et merci infiniment pour ce que vous dites, parfaitement ciselé aussi, et qui, croyez-le bien, me va droit au coeur.