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FULGURANCES D’APRÈS SILENCE

dépouillements

« Les postures ne promeuvent pas le yoga, au contraire elles retardent tout progrès spirituel, » prétendrait un texte fondamental de l’hindouisme, le Garuda Purana, un texte « révélé » (shruti) à l’homme au même titre que les Védas (en 227.44, pour ceux qui ont cet ouvrage).

Cela se saurait donc depuis fort longtemps que ces postures que proposent aujourd’hui quasi toutes les écoles de « yoga » hors d’Inde (et les « yogis » indiens médiatisés qui les inspirent) ne mènent à guère plus que ne le fait une bonne gymnastique* et qu’elles n’ont de yoga que le nom, nom qu’elles s’arrogent sans vergogne.

Dans ces écoles on ne parle jamais de méditation. Et d’ailleurs, leurs enseignants la pratiqueraient-ils un tant soit peu qu’après quelque réflexion ils en arriveraient sans doute à se demander ce qu’ils font de leurs élèves auxquels ils prétendent transmettre une des plus raffinées philosophies de l’Inde (darshana) et ils auraient honte, honte de leur imposture. Que savent-ils d’ailleurs de la définition même du yoga (« l'état dans lequel la pensée est maîtrisée. Là, l'homme se fond dans sa nature véritable." Patanjali, Yoga Sutra I, 2 et I, 3 »), une définition qui concerne exclusivement les états de la conscience et qui n’a rien à voir avec ces contorsions dont ces enseignants laissent entendre qu’elles sont l’alpha et l’oméga du yoga? Que font-ils encore de la vertu d’aparigraha (absence de convoitise, refus de rétribution excessive) prônée par ce même Patanjali comme un pré-requis essentiel au yoga? Que font-ils enfin de cette préoccupation primordiale du sous-continent indien de la sagesse de se libérer de la souffrance par le dépouillement (moins de biens matériels, moins de pensées, moins de tout) alors qu’eux poussent leurs élèves à se sublimer pour être plus performants (voyez les vocables: yoga de la puissance, yoga de l’énergie, etc) dans leur pratique des postures, ce qui a pour effet de les séquestrer dans le narcissisme, l’égo, les attentes et donc la souffrance?

Sans savoir bien l’expliquer, comme s’il s’agissait là d’une fulgurance incomplètement perçue et qui refuse de se clarifier (par peur peut-être, tant ce qu’elle fait entrevoir paraît terrible), il me semble quand même qu’il y a un parallélisme entre d’une part les moyens habiles imaginés par des gens comme Vivekananda, Aurobindo Gosh et Gandhi pour remporter au final une déroutante victoire sur le Raj, et d’autre part l'ingénieux lâchage de lest auquel l’Inde philosophique procède aujourd'hui et depuis quelques décennies déjà pour empêcher le dévoiement de sa sagesse.

Je m’explique: Voilà un monde qui a tant à donner (et qui le ferait si les mains réceptrices étaient pures, car cette Inde-là est la générosité même) et qui s'en tient à une distribution de cacahuètes, ces postures dont parle le Garuda Purana pour nous mettre en garde, des postures devenues sans autre finalité qu’elles-mêmes.

Et ainsi l’essentiel serait préservé dans sa purété (un secret ouvert en quelque sorte, et dont les Yoga Sutra de Patanjali et la Bhagavad-Gita donnent un bon aperçu pour qui sait les lire) à l’intention des Chercheurs du Chemin qui, même s’ils sont très rares (c’est la Bhagavad-Gita qui le dit en 7, 3,) se rendent aujourd’hui et se rendront demain encore dans quelque vallée perdue du pays du Dharma éternel avec le désir de savoir et non de prendre. Et quelqu’un sera là (quand l’élève est prêt, le maître se présente, dit-on là-bas) pour eux. Et entre de telles humbles mains, le yoga n’est et ne sera jamais affaires d’expertise technique et d’activité lucrative mais de pratique de l’assise en silence (dhyana) à des fins de recherche de vérité pour, un jour peut-être, être enfin débarrassé des mirages de l’illusion (maya) et des méfaits de cette ignorance fondamentale (avidya) qui est la cause de notre incarnation souffrante.

*: Une bonne gymnastique assouplit aussi le corps, la seule chose qu’elle ne procure pas aussi bien qu’un hatha yoga bien compris, c’est cet apprentissage d’une introversion de sens (prathyara) et d’une concentration naturelle (dharana) bien utiles dans la pratique de l’assise en silence. Cela dit, il faut là aussi se garder de tout triomphalisme: certaines écoles de méditation ne proposent pas d’exercices physiques pour préparer l’assise, cela veut-il dire que ceux qui les fréquentent méditent « moins bien »?

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À propos
Marc

Photographe, écrivain, sophrologue et enseignant de raja yoga, j’ai bourlingué des années en Asie et vécu longtemps dans des ashrams indiens. Lecteur de toutes les philosophies et amoureux de tous les silences, je vous livre ici mes fulgurances d’après ... silence.
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M
Ravi que cela vous ait plu. Le zazen en Occident pêche lui par un excès de ritualisme jargonnant ou par une tentative de récupération par des moines chrétiens dans un syncrétisme étrange: d'une part un amour du vide, de l'autre un système où la croyance est érigée en vert. Comment concilier tout ça sans verser dans le ridicule ou la dénaturation?
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L
Intéressant et fort peu surprenant... Il en est de même pour le Zen, édulcoré et évidé de sa substance hors Japon... Merci de cet article.
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