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FULGURANCES D’APRÈS SILENCE

dédouanement

Si l’on considère de façon impassible certaines considérations dépitées sur « cette grande scène de fous (1, voir plus bas les références) »  qu’est notre vie, considérations que l’on retrouve partout de l’Ecclésiaste (2) à Cioran (3) en passant (entre autres) par Bruyère (4), Chateaubriand (5), Schopenhauer (6), Leopardi (7) et Nietzsche (8), on pourrait presque se consoler en observant que sous l’angle de l'égalité du moins, les choses sont assez bien faites : aucun être vivant, en effet, n’est épargné par la mort, tout le monde, sans exception, y a droit ; et de plus, pour peu qu’on soit d’une espèce (comme la nôtre) où l’on peut méditer la chose, on souffre tous, sans exception, de se savoir mortel.

Quoi ? Que dites-vous ? Qu’il y aurait une justice chez les hommes ? Certains n’ont-ils pas une plus belle vie que d’autres ? Certes, et il faut s’en offusquer et ne pas s’y résigner, mais la chute de ceux qui sont nés sous une bonne étoile ne sera que plus fracassante, et leur mort, plus douloureuse, alors que d’autres (bien plus nombreux, c’est hélas un fait) qui ont beaucoup souffert, ne profitant jamais d’îlots enchanteurs hors l’océan de souffrance (dont parlait Sri Nisargadatta Maharaj (9)), trouveront dans la mort, un soulagement. La justice leur sera ainsi rendue, comme l’avait déjà remarqué La Bruyère (10).

Est-ce à tout cela que Dieu, s’il existe, a pensé pour se dédouaner quelque peu d’avoir mis au monde ?

 

 

 

(1) :  

« Quand nous venons au monde, nous pleurons d'être entrés sur cette grande scène de fous ».

Le Roi Lear. Shakespeare

 

(2) :

« 2 Et j'ai trouvé les morts qui sont déjà morts plus heureux que les vivants qui sont encore vivants, 3 et plus heureux que les uns et les autres celui qui n'a point encore existé et qui n'a pas vu les mauvaises actions qui se commettent sous le soleil. »

(L’Ecclésiaste, chap. IV )

 

(3) :

- « Ne pas naître est sans contredit la meilleure formule qui soit. Elle n'est malheureusement à la portée de personne. »

(De l'inconvénient d'être né, Cioran)

- « N’avoir pas encore digéré l’affront de naître. »

(De l'inconvénient d'être né, Cioran)

- « X soutient que nous sommes au bout d’un « cycle cosmique » et que tout va bientôt craquer. De cela, il ne doute pas un instant. 

En même temps, il est père de famille, et d’une famille nombreuse. Avec des certitudes comme les siennes, par quelle aberration s’est-il appliquer à jeter dans un monde fichu enfant après enfant ? Si on prévoit la Fin, si on est sûr qu’elle ne tardera pas, si on l’escompte même, autant l’attendre seul. On ne procrée pas à Patmos. »

(De l'inconvénient d'être néCioran)

- « Ces enfants dont je n'ai pas voulu, s'ils savaient le bonheur qu'ils me doivent. »

(Aveux et Anathèmes. Cioran)

 

(4) :

« La vie est courte, si elle ne mérite ce nom que lorsqu’elle est agréable, puisque si l’on cousait ensemble toutes les heures que l’on passe avec ce qui plaît, l’on ferait à peine d’un grand nombre d’années une vie de quelques mois. »

(Du Cœur, 64 (V), Les Caractères,  La Bruyère, les Caractères)

 

(5) :

« Après le malheur de naître, je n'en connais pas de plus grand que celui de donner le jour à un homme. »

(Mémoires d'Outre-tombe, Chateaubriand)

 

(6) :

- « Parce qu’un  homme a joui du plaisir de la procréation, un autre (son fils) doit vivre souffrir et mourir. Comment pourraient-ils ne pas former qu’une seule et même chose ? »

(Schopenhauer, dans le Magazine Littéraire de Janvier 1995,  p.54)

-  « On dit qu’après la mort le ciel nous demandera des comptes ; je pense que nous pourrions d’abord lui demander des comptes sur la mauvaise plaisanterie de l’existence que nous avons dû subir sans même savoir pour quelle raison et à quelle fin. »

(Schopenhauer, dans le Magazine Littéraire de Janvier 1995,  p. 56)

 

(7) :

« Comme on lui demandait à quelle fin naissent les hommes, il répondit par plaisanterie :   Pour savoir combien il est plus expédient (spediente) de ne pas être né. »

(Ainsi parlait Giacomo Leopardi, citation 149, Ed. Arfuyen)

(L’intéressant ici, se sont les qualificatifs que chacun estime les plus judicieux pour traduire ou remplacer carrément ce spediente du début du 19ème siècle. Je pencherais pour « indiqué », « commode » ou encore « opportun » plutôt que « expédient ».)

 

(8) :

 « Cependant, nous devons crier à ce spectateur qui s’est déjà détourné [Note : d’Apollon et des douze dieux olympiens chapeautés par Zeus] :  « Ne t’éloigne pas ; mais écoute d’abord ce que raconte la sagesse populaire des Grecs au sujet de cette même vie, qui se déroule devant toi avec une aussi inexplicable sérénité. D’après l’antique légende, le roi Midas poursuivit longtemps dans la forêt le sage Silène, compagnon de Dionysos, sans pouvoir l’atteindre. Lorsqu’il a enfin réussi à s’en emparer, le roi lui demande quelle était la chose que l’homme devrait considérer comme la meilleure et estimer au-dessus de tout. Immobile et obstiné, le démon reste muet, jusqu’à ce qu’enfin, contraint par son vainqueur, il éclate d’un rire strident et profère ces paroles : « Race éphémère et misérable, enfant du hasard et de la peine, pourquoi me forces-tu à te révéler ce qu’il vaudrait mieux pour toi ne pas entendre ? Ce que tu dois préférer à tout, c’est pour toi hors d’atteinte, c’est de ne pas être né,  de ne pas être, d’être néant. Mais, après cela, ce que tu peux désirer de mieux, -- c’est de mourir bientôt. »

(La Naissance  de la Tragédie, § 3, Nietzsche)

 

(9) :

« Le désir est le souvenir du plaisir et la peur le souvenir de la souffrance. Les instants de plaisir ne sont que des îlots dans le flot de la souffrance. Comment le mental pourrait-il être heureux ? »

(Sri Nisargadatta Maharaj)

 

(10) :

  « Si la vie est misérable, elle est pénible à supporter ; si elle est heureuse, il est horrible de la perdre. L’un revient à l’autre. »

(De l’homme, 33 (1), Les Caractères, La Bruyère)

 

P. S. : Dans le billet du  9 février 2012 il était question de bonheur.

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À propos
Marc

Photographe, écrivain, sophrologue et enseignant de raja yoga, j’ai bourlingué des années en Asie et vécu longtemps dans des ashrams indiens. Lecteur de toutes les philosophies et amoureux de tous les silences, je vous livre ici mes fulgurances d’après ... silence.
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B
Et pourtant, ceux qui ont le sentiment de ne pas avoir bien vécus semblent avoir plus de mal à quitter ce monde. Comme si pour savoir bien mourir, il était nécessaire d’avoir su bien vivre mais c’est peut-être là, l’enseignement de votre post
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