FULGURANCES D’APRÈS SILENCE
17 Octobre 2020
Vieux et « non-vieux », voilà comment une société immature résume la composition de ses membres lorsque le bateau coule, comme c’est le cas aujourd’hui. Et cela, non pour les unir mais pour les opposer.
Dans l’hindouisme, un monde avec beaucoup plus de bouteille que le nôtre, on a toujours veillé à ce que les âges de la vie [brahmacharya (le temps de l’apprentissage), grahasthashram (le temps de la vie de famille), vanaprastha (le temps du détachement par la méditation) et enfin, sanyas (le temps du dépouillement par le renoncement)] soient marqués du sceau de la sympathie, du respect et de l’entraide mutuels. Quoi de plus logique, au fond, les vieux ayant été jeunes et les « non-vieux » n’allant pas toujours le rester ! Ce respect de tous les âges se retrouve dans toutes les sociétés « traditionnelles » que j’ai visitées, notamment l’indienne à laquelle je pense d’abord, mais aussi la turque où, mûrissant de voyage en voyage, je suis devenu un beau jour l’oncle (dayi) de chacun, et où beaucoup, à ma grande gêne d’ailleurs, ont commencé à me toucher le pied en guise de salut respectueux.
Mais chez nous, quid de ce respect ?
Devant la menace d’un impitoyable virus, de plus en plus de personnes que l’on dit « non à risque » agissent comme si les autres n’avaient qu’à bien se tenir et mourir en silence, pourvu qu’elles aient, elles, du bon temps. Quoi de plus insupportable qu’un peu de patience et d’ennui dans ce monde du tout, tout de suite, rien que pour moi!
Le problème - et c’est là qu’on voit les limites de cette approche égocentrée, ainsi qu’en quoi les sociétés traditionnelles évoquées plus haut ont raison d’opter pour une irrécusable solidarité intergénérationnelle - c’est qu’agissant ainsi les hôpitaux vont se remplir de vieux terrassés par le virus, et que donc les « non-vieux » n’y trouveront plus de lits pour reposer leurs corps atteints par les innombrables pathologies dont on peut souffrir à tout âge (allant de l'orteil cassé au cancer). Leur insouciance va se retourner contre eux et, injustice à laquelle on pense trop peu, certains pour avoir été délaissés, n’atteindront jamais (ou alors dans un piètre état) l’âge de ces vieux se débattant maintenant avec la mort, mais ayant au moins longtemps vécu.
Certes, pour être un peu plus exhaustif quand on parle des conséquences de l’insouciance évoquée plus haut, il faudrait aussi parler de l’état de monde (pauvreté, barbarie) dont cette insouciance sera in fine responsable. Et là, ce seront manifestement les « non-vieux » d’aujourd’hui qui trinqueront puisque le sombre avenir qu’ils auront provoqué (avec certes un environnement moins maltraité et plus durable que celui d’aujourd’hui, mais c’est là un autre débat) leur appartiendra exclusivement, tout comme les vieux d’aujourd’hui ont eu pour eux une jeunesse dorée dans un monde de plein d’emploi, où l’aventure et la recherche du sens de cette vie (retour au vanaprastha évoqué plus haut) étaient possibles, et où chacun croyait encore aux lendemains qui chantent.
P. S. : Dans le billet du 17 octobre 2007 il était question d’abdication.
Photographe, écrivain, sophrologue et enseignant de raja yoga, j’ai bourlingué des années en Asie et vécu longtemps dans des ashrams indiens. Lecteur de toutes les philosophies et amoureux de tous les silences, je vous livre ici mes fulgurances d’après ... silence.
Voir le profil de Marc sur le portail Overblog