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FULGURANCES D’APRÈS SILENCE

suicide

Sauf erreur, la première évocation significative de la perspective de la disparition de l’humanité en tant qu’espèce a été faite par Arthur Koestler en 1967 (Le Cheval dans la Locomotive p. 300) lorsqu’il considérait que la bombe thermonucléaire lancée sur Hiroshima avait ouvert la porte au « génosuicide » et que celui-ci était désormais inévitable.

Cette perspective, il l’avait approfondie notamment en 1979 dans son ouvrage Janus où il faisait remarquer que ce « génosuicide » était d’autant plus probable que la bombe se trouvait dans les mains d’un certain homo sapiens, une espèce révélant une tendance paranoïaque à la violence (je le cite: « Guerres tribales, guerres de religion, guerres civiles, guerres dynastiques, guerres nationales, guerres révolutionnaires, guerres coloniales, guères de conquête, de libération, guerres pour prévenir ou pour finir toutes les guerres, elles se suivent presque sans interruption avec une monotonie maniaque depuis les temps les plus reculés […]" (Janus, p. 15)).

Sans négliger déjà à l’époque d’autres menaces, comme par exemple celles de ce qu’il appelait la guerre biochimique, de l’explosion démographique ou encore de la pollution (Janus, p.16), c’était surtout le danger nucléaire qui le rendait très pessimiste sur le sort de l’humain.

Pourquoi l’homme en était-il arrivé ainsi à deux doigts de son suicide? Il pointait plusieurs raisons (quatre*) à sa propension à l’autodestruction, dont les deux - qui sont susceptibles d’intéresser plus spécialement les méditants - étaient, un, la difficile reprise en main par son néocortex de ses cerveaux de reptile et de mammifère inférieur, comme s’il y avait là une erreur de la nature, ce qui avait pour effet d’utiliser son intelligence à des fins de calcul plutôt que de transcendance (je simplifie, bien entendu, et vous renvoie à ces ouvrages** de Koestler pour plus de détails) et deux, la très longue période d’apprentissage nécessaire à sa progéniture avant d’être autonome, qui faisait d’elle des adultes prompts à se fondre dans un groupe remplaçant ses géniteurs et le confortant dans ses préjugés, voire ses superstitions, et prompts aussi à se soumettre souvent pour le pire au chef de ce groupe, sorte de substitut de son père, comme tous ces funestes imposteurs au nom desquels il a tué depuis des millénaires.

Quel diagnostic astucieux aurait-il établi s’il était encore là aujourd’hui, au moment où le danger nucléaire, bien que toujours bien réel, est un peu oublié (disons qu’il est moins au devant de l’actualité, mais l’épée de Damoclès que représente "l’atome" sera toujours là, même après l’homme, sous la forme de ses déchets), tant des crises [écologique (surconsommation des ressources naturelles renouvelables, boulimie productiviste et consumériste, pillages des terres, forêts et océans), démographique, humanitaire, migratoire, sociale (inégalités), financières (à répétition), religieuse (délire islamique) et last but not least, crise des valeurs morales dans un contexte de retour du superstitieux et du réactionnaire et dans un environnement voué au culte de l’égo] sont venues s'ajouter au danger nucléaire pour menacer, elles aussi, l’avenir?

Certains prétendent que ces crises ne sont pas toutes reliées entre elles. Aurait-il été de cet avis, Koestler, ou les aurait-il considérées comme ayant un point commun, celui d’être autant manifestations de cette volonté de l’homme d’en finir avec lui-même, qu’il avait tant cherché à comprendre?

On peut se demander s’il ne se serait-il pas posé les questions suivantes: Et si l’être humain, aujourd’hui confiné jusqu’à l’étouffement, ne croyait tout simplement plus à son avenir et voulait en finir? Et si la psychologie des foules (il avait lu Gustave Lebon) était plus que jamais d’actualité? Et si penser tous la même terrible chose contribuait bien à la faire advenir? Et si chacun, persuadé que le monde des hommes est finissant, précipitait encore plus les événements funestes, en copiant son voisin qui s’empiffre sans vergogne de gâteau tant qu’il y en a encore, car il ne croit plus non plus que le monde a un avenir?

 

 

 

 

*: Voir p. 31 et suivantes de Janus, pour plus d’explications. A celles évoquées plus haut, il faut ajouter, trois, « le langage qui renforce la cohésion à l’intérieur des groupes (sous entendu, parlant le même) et élève les barrières entre eux (les groupes) » et quatre, « la découverte de la mort, par l’intelligence (néocortex), et sa négation par l’instinct (cerveaux inférieurs). (Voir le Cheval dans la Locomotive, p. 291, les parenthèses sont de moi.)

**: Le Cheval dans la Locomotive (Calmann-Lévy, 1968) et Janus (Calmann-Lévy, 1979), des ouvrages datés certes, mais qui ont fait date quand même et qu’il n’est pas inutile de survoler encore.

P.S.: Dans le billet du 21 janvier 2013 il était question de pacifisme, mais en écrivant celui d’aujourd’hui qui rend hommage au grand Koestler, je ne pouvais cesser de penser à un autre auteur qui aurait eu, d’une certaine façon, sa place dans la réflexion du jour car, en partant de la constatation que l’homme d’aujourd’hui était un nomade contrarié, un être manquant de surcroît d’espace et de silence, ce grand voyageur aurait eu beaucoup à dire sur la névrose contemporaine et ses tragiques conséquences. Relisez donc ce billet très ancien où il est évoqué: longévité. Enfin, notez que le billet du 25 septembre 2015 abordait le même sujet que celui d'aujourd'hui mais sous un angle légèrement différent: suicide.

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À propos
Marc

Photographe, écrivain, sophrologue et enseignant de raja yoga, j’ai bourlingué des années en Asie et vécu longtemps dans des ashrams indiens. Lecteur de toutes les philosophies et amoureux de tous les silences, je vous livre ici mes fulgurances d’après ... silence.
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